Prohibition: chapter one

Il fut un temps aux Etats Unis où l'alcool et ses plaisirs étaient interdits. Alors que les français s'enivraient de "belle époque", les américains eux, vivaient la panne sèche et se retrouvaient confrontés à la plus grosse gueule de bois de leur histoire. "Un lundi matin en réunion après un week end de totale débauche", voilà l'état de nos voisins outre atlantique entre 1919 et 1930. Mais que s'est-il vraiment passé ? Comment le plus gros consommateur d'alcool du monde en est arrivé là ? Les américains de 1900 sont-ils les tchèques de 2019 ? Embarquons pour un voyage dans le temps où il est question de mafia, de religion de trafic, de gang et d’alcool, bref, ce que l'on appelle "un lundi" porte de la chapelle. 

Tout sourire le matin avant de mourir dans le satin

Il était une fois dans l'ouest

Si le XXème siècle est connu pour ses innombrables progrès techniques et inventions, on a souvent tendance à oublier que le XIXème a vu lui aussi quelques avancées notables telle que la carabine qui sert à tirer sur des gens et l’ampoule pour voir sur qui on tire. En ce premier tiers de siècle le quidam travaille sur les chemins de fer qui vont accueillir une  autre invention importante: la Locomotive à vapeur. 

Classique pause dej de 1830

Marié, avec 3 enfants il passe ses journées dehors à poser des rails qu’il ne pourra jamais emprunter. Quand après 12 heures d'un travail harassant il peut enfin poser son marteau, il s’installe dans un bar et éprouve la solidité du comptoir à l'aide de verres tantôt pleins, tantôt vides. Rassuré sur la qualité du bois il repart chez lui ivre-mort et en mustang. Arrivé à la maison il réveille femme et enfants passant sa colère, son inhibition et sa frustration sur une famille qui ne demandait pas mieux que de pouvoir dormir. 
Le dimanche, la messe est son prétexte pour y goûter le vin. Mais sa femme, elle, confesse son désarroi au révérend présent. Las d’entendre les mêmes histoires chaque dimanche, le révérend Beecher écrit une lettre qui dénonce les ravages de l’alcool. Il décrit comment l’elixir entraîne les violences domestiques, comment les femmes subissent le comportement des hommes ivres, comment ces derniers tombent dans la dépression et l’endettement et précise que si nous continuons sur cette lancée on va finir par se trumper de choix dans les urnes... 

180 ans plus tard la prophétie se réalise

Nous sommes dans les années 1830 et cette lettre va traverser les états unis et être à l’origine, 90 ans plus tard, de l’interdiction de consommer et produire des boissons spiritueuses. Il faut dire qu’à cette époque circule de nombreux tracts et messages invitant à consommer de l’alcool plutôt que de l’eau prétextant que l’eau est impure et boueuse alors que le whisky et la bière sont vivifiants (on rappelle que Gérard Depardieu ne naîtra que 122 ans plus tard). De ce fait l’américain moyen de plus de 15 ans consomme alors 88 bouteilles de whisky par an, soit l'équivalent d'un bon jour off pour un bartender. Les femmes de leur coté, n’ont que peu de libertés. Pas de travail, pas le droit de vote, pas le droit de boire, pas le droit de sortir, pas le droit d'exprimer d'opinion politique, pas de salaire, bref les conditions de vie d'un stagiaire au 21ème siècle. Prisonnière de leur condition, elles doivent aussi subir le climat extrêmement tendu et dangereux instauré par grand nombre d’hommes. Peu à peu elles s’émancipèrent de leur cage sociale et fondèrent un courant de pensée nommé: Temperance. 

Les seules qui ne sont pas au bar après 3pm et heureusement !

Le pouvoir des sans-pouvoirs

Cette philosophie repose en premier lieu sur l’interdiction pure et simple de l’alcool. Sorte de #metoo de l’époque, "Temperance" se répand en Amérique et génère une communauté de plus en plus grande et de plus en plus mixte. On trouvera par exemple les chevaliers de Jericho, Les fils de la temperance et, plus tard, le mouvement des femmes le plus influent: Woman Christian Temperance avec à sa tête Frances Willard (en 1873). Chacune de ces organisations est empreinte de religion. 

D'autres mouvements, moins nobles vont conduire à la mise en place de la prohibition comme le Ku klux klan. 

Ready to niquer des mères

Et le WCT n’est pas juste un mouvement anti-alcool, c’est un des premiers mouvements pour la libération de la femme. Une des premières organisations à recenser 1 million de signatures lors d’une pétition, la première à se constituer en département pour aider les femmes en détresse, les enfants abandonnés, les femmes alcooliques, les hommes alcooliques, les familles endettées et bien d’autres secteurs encore. C’est entre autre cette organisation qui prit l’initiative d’installer des fontaines à eau potable pour offrir une alternative aux saloons. 

Les actions initiées par les femmes ont un effet radical et, en 1851, le Maine est le 1er état à interdire l’alcool. Au lendemain du 2 juin 1851 les rues de Portland sont paisibles, calmes et pour la première fois depuis longtemps il n’y a ni vomis, ni rixes. 4 jours plus tard 3000 Irlandais manifestent pour le retour de leur whiskey favoris et sont accueillis "gilets jaunes style" par le feu de la milice mise en place par Mr Dow, le maire de l’époque. 

Mr Dow qui accorde une audience préliminaire

L'état qui "Maine" la danse

Plusieurs états emboîtent le pas au Maine, mais la soif des uns aura raison de la détermination des autres et entre 1860 et 1870 le gouvernement renonce et remplace ses interdictions par une tolérance assortie d'une taxation de l’alcool : 20cts par gallon, 1 dollar par fut de bière et 20 dollars la licence. 5 ans plus tard 1/3 du budget fédéral est couvert par la vente d’alcool. Ils étaient des ivrognes, ils sont maintenant des patriotes. 

En 1870 l’alcool est donc toléré. Les USA étant principalement peuplés de migrants c’est la communauté Germanique qui prend le lead sur la bière. Le savoir faire et la rigueur allemande sont déjà de mise et la production passe de 36 millions de gallons en 1830 à 550 millions en 1870. Pour se protéger des éventuelles hausses de taxe les brasseurs Germano-américains montent un genre de lobby appelé L’association des Brasseurs Américains. Nous sommes à 50 ans de la prohibition et l’industrie de l’alcool n’a jamais été aussi forte ni aussi structurée qu’à ce jour.

100% des brasseurs de bière à cette époque

Le bar devient The Place où tout se passe. A tel point que bon nombre de sénateurs et autres politiques sont propriétaires de saloon et de liquor store. Notamment un immigré Irlandais répondant au nom de Kennedy et qui, quelques années plus tard verra son petit fils sur le trône suprême. En parallèle le lobby des brasseurs continue de prendre de l'ampleur jusqu'à sponsoriser l'ouverture des saloons à l'aide de contrats brasseurs (aucun lien avec Claude) et de cadeaux en tout genre. Les mouvements de tempérance et le rassemblement de femmes peinent à se faire une place face à la soif infinie des hommes. 

s'il faut résumer en un gif... voilà.

La consommation d'alcool est à son paroxysme et en 1870 le samedi il est aussi difficile de croiser un homme sobre dans la rue que de trouver le coeur d'Eric Zemmour. La prohibition va peu à peu se mettre en place pensant régler tous les problèmes et ignorant qu'elle en créerait d'autres tout aussi dramatiques. Mais ça mes enfants, ce sera pour le prochain chapitre.